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Émilie Bonaventure – Architecte décorateur scénographe 

Pour ce tout premier portrait, j’ai souhaité vous présenter une personne qui n’est pas inconnue : Émilie Bonaventure, reconnue pour ses réalisations.

Elle ne le sait pas au moment où je rédige ce premier portrait, mais Émilie m’a contactée à un moment crucial. L’enthousiasme d’Émilie, son intérêt pour mon travail, sa sensibilité, la justesse de ses mots, notre compréhension mutuelle et surtout le récit de ses voyages et de son travail m’ont littéralement transportée. Nous avons découvert à quel point il y a des synergies entre nos métiers d’orchestration, des métiers dans lesquels la répétition n’a pas de place, chaque projet étant unique, et à quel point l’humain est au cœur de notre démarche.

Vous pourrez lire à quel point elle est spontanée et entière, passionnée et passionnante, et aussi que certains projets ont le don d’arriver au bon moment. Il est donc permis de rêver ! Émilie nous invite à voyager à travers ses souvenirs, avec beaucoup de générosité et de sincérité, entre lac, montagnes et mer Méditerranée, douceurs et défis, nous dévoilant les richesses d’une enfance façonnée par la tendresse, l’art et la passion.

QUI EST ÉMILIE BONAVENTURE ? 

Émilie est née au bord du lac d’Annecy, une région spécifique de la Haute-Savoie, caractérisée par la douceur et le défi, façonnée par la rudesse et la rigueur des montagnes environnantes. Un tel environnement forge des caractères de conquête, de défi et de détermination, des traits qu’Émilie a développés dès son enfance. Enfant, elle ne ressentait pas de sentiment d’appartenance à ce territoire, elle se percevait comme une petite fille urbaine, une inclination qui l’a menée à vivre à Paris. Aujourd’hui, en connaissant mieux son caractère, elle se reconnaît dans la douceur et la détermination propres à sa région natale.

Grandir au sein d’une famille italienne, entourée de quatre générations de femmes, a été une chance. Ce foyer chaleureux, où la bienveillance et la tendresse régnaient, l’a profondément marquée. La table familiale, lieu de rassemblement, reflétait une harmonie malgré les forts caractères de chacun : « La table mettait tout le monde d’accord. » Elle a d’ailleurs développé un goût prononcé pour la gastronomie. Enfant, elle avait également une place privilégiée en cuisine, une place qui n’était pas adaptée à une enfant de son âge, et qui a certainement contribué à lui donner confiance en elle. Souvent seule parmi les adultes, Émilie cultivait son imaginaire, créant des histoires, des décors pour ses poupées, et des vêtements, développant déjà son sens de la mise en scène.

Adolescente, Émilie a déménagé près de Saint-Raphaël, puis elle a étudié les arts appliqués à Antibes. Le contraste entre la rudesse d’Annecy et la lumière méditerranéenne du Sud l’a enchantée. Elle a découvert la beauté des vignobles varois, des artisans d’art et l’art contemporain dans les vignes. En 1987, cette immersion dans un autre art de vivre a été une véritable révélation, un trésor qu’elle chérit sans en être toujours consciente.

Elle a pris des décisions fortes dès son enfance. À 15 ans, Émilie a fait un choix déterminant en décidant de se spécialiser en arts appliqués, soutenue par sa mère et malgré l’avis contraire de ses professeurs. Cette décision, qu’elle ne regrette pas, l’a façonnée et elle encourage les jeunes à suivre leur véritable passion tôt dans la vie.

Sa relation avec la Suisse est également récurrente, marquée par sa participation régulière à la foire Art Basel. Émilie excelle à rendre les œuvres d’art désirables pour qu’elles trouvent leur place dans de nouvelles collections. Elle a également travaillé à Zurich pour valoriser une collection d’arbres majestueux. Bien qu’elle soit originaire d’Annecy, c’est par la Suisse alémanique qu’elle y entre le plus souvent.

SON AGENCE 

Émilie a pris la décision d’ouvrir son agence l’été de ses 27 ans, lançant finalement son activité en janvier 2005, il y a près de 20 ans. À l’époque, elle travaillait dans une superbe agence d’architecture qu’elle aimait beaucoup et où elle était très heureuse. Cependant, en janvier 2004, elle a découvert le céramiste Emmanuel Boos et a ressenti le désir de le faire connaître à sa manière. C’est de cette rencontre qu’est née son envie d’indépendance.

Elle endossait régulièrement le rôle d’agent. Au fil des projets, elle pouvait acheter, placer et conseiller sur les acquisitions, sans nécessairement porter cette casquette. La relation avec les artistes la passionne et revient par cycles, la poussant parfois à reprendre ce rôle d’agent. Ses décisions d’agir en tant que telle ne sont pas planifiées, mais plutôt le résultat de rencontres fortuites.

Parfois, elle ne peut se contenter d’acheter une œuvre ou une pièce, elle ressent le besoin de s’engager et d’aller plus loin.

C’est un métier d’orchestration, donc même si l’agence est dimensionnée à échelle familiale, ils sont toujours plus nombreux. Les gens qui les aident à réaliser les projets qu’ils conçoivent, comme les artisans et les artisans d’art, font partie de l’équipe même en étant à l’extérieur.

Émilie met l’humain au cœur de ses projets, et surtout dans le pilotage de son agence, de « sa petite famille ». Pour Émilie, il faut avant tout que « le casting soit bon ».

"C’est un métier d’orchestration, donc même si l’agence est dimensionnée à échelle familiale, ils sont toujours plus nombreux. Les gens qui les aident à réaliser les projets qu’ils conçoivent, comme les artisans et les artisans d’art, font partie de l’équipe même en étant à l’extérieur. "

SON METIER 

Ce qu’elle aime offrir repose sur une compréhension approfondie. Elle a un besoin impérieux de comprendre la question qui lui est posée, ce qui la pousse à poser de nombreuses questions. Son service passe par le fait d’apprendre à connaître son client et à instaurer une communication ouverte. Ensuite, elle répond de la meilleure façon possible aux demandes de rénovation ou de valorisation du patrimoine existant, en fonction de la question posée. Est-ce pour le rénover en vue de le céder, de le conserver, de le transmettre ? Pour le présent ou pour l’avenir ?

Émilie est architecte décorateur. Après son travail d’architecte d’intérieur, elle passe à celui de décorateur. Ils choisissent tous les revêtements ainsi que le mobilier, en faisant un travail de prescription et de recommandation dès le début du projet. Le métier de la décoration inclut également le textile : voilages, rideaux, coussins, plaids. C’est un univers important. Elle fait aussi des recommandations sur le linge de lit pour que le projet soit abouti. Elle aime acheter, livrer et installer dans une dynamique hôtelière, prêt à vivre.

Émilie peut également intervenir pour des missions ponctuelles, comme la création d’une bibliothèque et l’achat des livres, et l’achat d’art pour constituer ou compléter une collection.

En filigrane de toutes ces explications, ce qui anime Émilie, c’est surtout de travailler pour et avec des gens qui comprennent, en qui elle a confiance, et qui lui font confiance. La communication est alors fluide, naturelle, presque instinctive, la compréhension mutuelle est profonde et sans effort.

Son plus beau projet ne pouvait naître que d’une très belle rencontre.

SON PLUS BEAU PROJET 

La question était forcément compliquée car Émilie a aimé réaliser chacun de ses projets. Puisqu’elle devait en sélectionner un, elle a choisi son (sublime) projet TALMA. Ce projet fut un heureux hasard de rencontres, avec une personnalité formidable qui l’observait depuis longtemps et qu’elle n’a jamais imaginé venir vers elle. « C’était une carte blanche et une magnifique conversation. »

C’est un projet résidentiel avec un jardin, dans le 9ème arrondissement, avec une dimension « raisonnable ». « Ce qui a rendu la chose exceptionnelle, ça a été la rencontre. » Cette cliente a su voir la totalité de sa personne, pas seulement sa dimension professionnelle. Il a posé un regard sur elle et sur son travail, et il lui a permis de s’exprimer profondément à un moment où elle en avait besoin et envie dans sa vie et dans sa carrière.

Elle s’est sentie comprise, elle s’est sentie utile. C’est d’ailleurs un mot qu’elle adore. Elle a été utile pour ce lieu et pour cette famille. Ce fut aussi une rencontre formidable. « C’est la plus belle conversation, tu n’es pas obligé de convaincre, tout est facile, tout est naturel et spontané. C’est pour l’instant pour moi un projet fétiche. »

C’était la première fois où elle montrait le plus son style et ces mêmes clients lui ont ensuite confié un second projet. « Il n’y a pas de plus beau compliment quand on vous demande un deuxième lieu. »

Ce second projet fut celui de la transmission, une maison de famille qu’ils ont passée du temps de l’enfance au temps de l’adulte. Elle ne devait pas abîmer leurs souvenirs. C’était donc encore plus important de ne pas se tromper. « Il a fallu vider cette maison et l’emmener dans le temps présent. Cette maison a été réinvestie et la famille s’y réunit à nouveau. Ils y sont très heureux. »

" Le sens du détail. Je crois beaucoup à l’intemporalité du beau car le beau est simple. C’est dans la simplicité que les détails se logent."

SON STYLE

On pourrait penser qu’un architecte a un style revendiqué après 20 ans, lisible au premier coup d’œil, mais Émilie ne pense pas être lisible au premier coup d’œil. Elle met des messages codés, cachés. « Il y a des citations et des clins d’œil » dans ses réalisations mais il n’y a jamais de répétition. Se répéter l’ennuie. Elle n’aime ni les déclinaisons ni les variantes, elle aime les clins d’œil et les citations.

 

SES INSPIRATIONS 

Ce sont une nouvelle fois les rencontres. Ce sont avant tout les gens qui l’emmènent à créer des choses en plus. Elle est aussi inspirée par les livres, pas forcément en tant que littérature mais en tant qu’objets. Elle voit comme une chance lorsque ses clients lui demandent de réaliser et remplir leur bibliothèque. Elle sélectionne les livres avec beaucoup de cœur et d’enthousiasme. Dans un hôtel, les livres pour les chambres sont choisis pour qu’on se sente bien. Dans une maison, elle peut acheter des livres de cuisine, de jardin, toujours en lien avec le lieu, le mobilier et l’époque.

Elle est d’ailleurs très intéressée par les relations intérieur-extérieur et extérieur-intérieur, et achète beaucoup de livres sur l’art des jardins. Le dehors interfère sur le dedans tout le temps et depuis le début. « Je me suis rendue compte que je faisais les lieux en fonction des villes et des implantations géographiques. Je revendique ne pas avoir de style caricatural car je ne dessine pas la même chose pour Londres, Paris ou le sud de la France. Répéter la même identité dans ces lieux me semble une aberration absolue, ça veut dire que tu ne prends pas en compte les axes, les paysages, les points de vue, la culture. »

QUELLE EST LA RECETTE POUR REUSSIR UN PROJET 

Pour réussir un projet trois piliers sont indispensables : « une bonne idée, un bon client et un bon budget ! Si l’un de ces piliers manque, cela ne fonctionne pas, le projet ne pourra pas aller vers l’extraordinaire. Avant de me lancer, je prends du temps pour ausculter et observer si c’est fait pour moi. Si le casting est bon, c’est formidable : je donne beaucoup, je reçois beaucoup. »

QU’EST CE QUE VOUS TROUVEZ BEAU ?

« Le sens du détail. Je crois beaucoup à l’intemporalité du beau car le beau est simple. C’est dans la simplicité que les détails se logent. »

Ce qui nous a frappés, c’est la sensibilité d’Émilie et la justesse des mots employés. Nous avons été impressionnés par la réflexion qu’elle pouvait avoir déjà très jeune, son regard sur le monde, sa volonté, sa passion, sa force et sa douceur.

Nous avons demandé à Émilie quel conseil elle donnerait à un entrepreneur qui se lance.

« S’assurer à sa manière de la solidité de la famille et des amis, pour pouvoir aller chercher les appuis, les conseils, les moments de rigolade et de détente quand il y en a besoin. Être entrepreneur est plus complexe aujourd’hui. La famille, c’est celle que chacun se crée, cela peut reposer sur une seule personne. Il faut s’assurer que la « famille » pourra subvenir aux besoins d’écoute et être patiente. »

Cette rencontre avec Émilie fait partie de nos belles rencontres, la première belle rencontre de Lodge Family. Nous sommes autant charmés par sa personnalité que par ses créations, et nous espérons avoir la chance de collaborer avec elle un jour.

Propos recueillis par Anaëlle Morbidelli – Lodge Family 
Photos : 
Asa Liffner , Nicolas Matheus et Tiphaine Caro (portrait)