(Portrait)
Stéphanie & Johan Dubourdieu – Maîtres de Maison du Domaine de Locguénolé (Relais & Châteaux)
Niché entre forêt et océan, suspendu entre histoire et modernité, le Domaine de Locguénolé impressionne d’abord par sa majesté. Le regard se perd dans l’élégance de ses façades, dans la délicatesse de ses perspectives, dans cette alliance rare entre nature brute et architecture pensée. Sous l’œil visionnaire de l’agence Bachmann Associés, le lieu a trouvé une cohérence, une clarté, une puissance et un confort hors du commun.
Mais ce que l’on ne voit pas immédiatement, derrière la somptueuse grille d’entrée, c’est l’intelligence collective qui fait vivre cette beauté.

Il y a d’abord un couple : Stéphanie et Johan Dubourdieu, hôteliers passionnés, discrets et tenaces, qui vivent le domaine comme une maison, une responsabilité, un engagement. Ils orchestrent avec brio une équipe dont chacun est expert dans son domaine.
Ensuite, il y a un homme : Gérard Jicquel, propriétaire des lieux via le Groupe Beautiful Life hôtels, entrepreneur audacieux, stratège humain, bâtisseur infatigable, qui a su transformer une sortie de carrière en aventure entrepreneuriale et patrimoniale.
Rien n’a été laissé au hasard. La stratégie, pensée d’abord avec KPMG Rennes, puis affinée avec le cabinet Seven Kern, a posé les fondations d’un projet durable, exigeant, à la hauteur des lieux. Car il ne s’agit pas seulement de restaurer un château, ni d’exploiter un hôtel de luxe. Il s’agit de créer une dynamique vivante, fluide, où le bâti, les talents et l’économie se conjuguent au service d’une expérience exceptionnelle.
C’est ce défi-là, aujourd’hui, que Johan et Stéphanie relèvent chaque jour. Trouver le bon rythme. Accorder les exigences de l’exploitation à l’âme du lieu. Faire grandir une équipe dans un cadre qui, sous ses apparences paisibles, est hautement complexe et exigeant.
C’est avec une grande générosité que Johan Dubourdieu a accepté de revenir sur son parcours avec son épouse, de partager les coulisses de cette maison pas comme les autres. Et de rappeler que derrière l’excellence, il y a toujours des histoires d’engagement, de famille et d’humanité. Puis, il y a toujours une équipe.
VOTRE PARCOURS EST À LA FOIS ATYPIQUE ET PROFONDÉMENT COHÉRENT.
AVEZ-VOUS TOUJOURS EU L’IDÉE DE TRAVAILLER DANS L’HÔTELLERIE ?
Pas nécessairement. J’ai grandi en région parisienne, entre un père pilote chez Air France et une mère hôtesse (de l’air puis au sol). Le voyage, le mouvement, c’était notre quotidien. Ma mère est bretonne, de Carnac – c’est notre ville de cœur – et mon père était béarnais. J’ai toujours baigné dans un mélange d’ancrage et d’évasion.
J’ai étudié le tourisme, un DESS en marketing touristique. J’ai travaillé pour des comités départementaux du tourisme, notamment en Bourgogne et en Île-de-France. Mon métier, c’était d’imaginer des stratégies pour attirer des touristes. Mais à force d’orienter des gens dans des destinations sans jamais les voir, je me suis rendu compte que j’avais besoin de contact, d’humanité. J’avais envie de faire partie de l’expérience, pas seulement de la vendre.
C’EST CE DÉSIR DE CONTACT QUI VOUS MÈNE À LA MONTAGNE ?
Oui. J’étais sportif, attiré par les stations. Mais les grandes stations alpines sont souvent verrouillées, donc j’ai trouvé deux opportunités dans les Pyrénées. J’ai atterri à Cauterets, une station importante, très vivante. J’y ai rapidement rencontré Stéphanie, ma femme. Elle travaillait dans la restauration, et ses parents étaient hôteliers. On a vite compris qu’on avait la même énergie : le goût du travail, du terrain, et une volonté de bien faire.


"Avec Stéphanie, on travaille comme si c’était chez nous. Elle gère l’hébergement, les clients et les ressources humaines et collabore avec moi à la direction générale : communication, commercialisation, sécurité, technique, finances. On forme un binôme. Et surtout, on s’appuie sur une équipe exceptionnelle. "


COMMENT AVEZ-VOUS INTÉGRÉ LE MONDE DE L’HÔTELLERIE ?
C’est mon beau-père qui m’a tendu la main. Il était nostalgique de son métier, et sa sœur, agent de voyage, l’a impliqué dans le rachat d’un très bel hôtel à Lourdes. Il m’a demandé de l’accompagner. Il ne voulait pas le faire seul. J’ai commencé à travailler là, et un an plus tard, il a rendu ses parts. Moi, je suis resté.
Toutefois à la maison, ce n’était pas simple. On habitait encore à Cauterets. Je partais à 6h, je rentrais à 19h. Et quand je rentrais, Stéphanie partait au service du soir. Notre première fille, Lisa, était née. On se croisait, mais on se tenait. Nous sommes un couple solide. On savait que cette période ne durerait pas éternellement.
COMMENT EN ÊTES-VOUS VENU À INTÉGRER RELAIS & CHÂTEAUX ?
Quand Lisa a eu deux ans, nous avons postulé un peu partout. Un chasseur de têtes nous a contacté pour un poste à Belle-Île-en-Mer. Un hôtel mythique, Relais & Châteaux. Il y avait beaucoup de candidats, mais je crois que notre motivation a fait la différence.
On est arrivés en famille, et après un an, on nous a confié la gérance du Castel Clara. Là-bas, on vivait intensément. L’hôtel était exigeant, on gérait près d’une centaine de personnes, mais dès qu’on avait un jour de repos, on montait dans notre Méhari avec les filles et on filait à la plage. Dix minutes de route, et on avait l’impression d’être en vacances. C’était ça, notre luxe : pouvoir couper, même brièvement, et savourer.
VOUS PARLEZ D’UNE FORME DE JOIE SIMPLE, ANCRÉE DANS LE QUOTIDIEN. VOUS ÊTES RESTÉS COMBIEN DE TEMPS À BELLE-ÎLE ?
Huit ans. Jusqu’à ce que le propriétaire décide de vendre. On a fait une offre, refusée. Puis il y a eu un procès. C’était une période très dure. On a quitté l’île dans la tourmente, épuisés mais debout.
PAR QUEL CHEMINEMENT ETES-VOUS ARRIVÉS JUSQU’AU DOMAINE DE LOCGUÉNOLÉ ?
Le hasard, une fois de plus. Le propriétaire du Domaine de Locguénolé cherchait un directeur. Il voulait vendre à une condition : que le lieu reste un Relais & Châteaux, et que ce soit nous, Stéphanie et moi, qui le reprenions.
C’est Gérard Jicquel qui a racheté. Un homme extraordinaire. Il a créé un empire dans le nettoyage industriel, qu’il a quitté à 65 ans. Il aurait pu se retirer, mais non : il a réinvesti. Il ne voulait pas juste transmettre du capital, mais un modèle, une vision. Aujourd’hui, il a 10 hôtels, deux domaines viticoles, un nouveau groupe… Il a une énergie incroyable. Il fête ses 70 ans, et il ne ralentit pas.
QUELLE EST VOTRE VISION POUR LOCGUÉNOLÉ ?
Ce lieu, c’est une maison. On veut qu’il ait une âme. On a rouvert fin 2023, on est en plein lancement en 2024, on vise une consolidation en 2025, et un rythme plus serein dès 2026. Les investissements sont considérables – près de 27 millions d’euros – mais l’ambition est là.
Avec Stéphanie, on travaille comme si c’était chez nous. Elle gère l’hébergement, les clients et les ressources humaines et collabore avec moi à la direction générale : communication, commercialisation, sécurité, technique, finances. On forme un binôme. Et surtout, on s’appuie sur une équipe exceptionnelle.


"Orchestrer une équipe d’experts, ça force l’humilité. Ils sont meilleurs que nous dans leurs domaines, et c’est ce qui fait la richesse de cette maison."
VOUS PARLEZ DE VOTRE ÉQUIPE AVEC ÉMOTION. QUI SONT LES PILIERS DE LA MAISON ?
À l’hébergement, c’est Emma Blanchet qui pilote. Elle vient de l’univers des grands palaces. Elle gère les réservations, la réception, les contrôles des chambres, et encadre à la fois les équipes de réception et d’étage. C’est un poste central. On ne peut pas gérer correctement la réception sans comprendre les étages. C’est plus sain pour tout le monde : pour les clients, pour les équipes, et pour elle.
Stéphanie, ma femme, est aussi très impliquée sur cette partie hébergement. C’est son domaine.
J’ai un adjoint, Anthony Boisnard qui, en tant qu’ancien maître d’hôtel, m’assiste avant tout sur les aspects liés à la restauration et qui assure également la passerelle comptable avec le cabinet Seven Kern à Rennes. Il a une très grande expérience en gestion d’équipe, en relation client, ainsi qu’en sommellerie.
Sylvie Gapihan est notre gouvernante. Elle travaille à Locguénolé depuis bientôt 30 ans et dispose donc d’une expérience incomparable avec une vision très large de l’hébergement. Elle travaille sous la direction d’Emma, mais elle a une vraie autonomie.
Manon Ramaré est notre responsable événements. Elle prend en charge tout ce qui est mariages, séminaires, demandes spéciales. C’est un point clé de l’activité, qui permet de gommer un peu la saisonnalité inhérente à notre secteur.
Emma Pecout est responsable du spa. Elle dispose d’une très grande autonomie et d’une belle expérience préalable dans des maisons prestigieuses.
Yann Maget est notre chef, il dirige les deux cuisines : celle de L’Inattendu, le restaurant gastronomique étoilé Michelin, et celle du bistrot. Il est très présent à L’Inattendu, mais il supervise aussi la Maison Alyette.
Yann est parisien, mais il a épousé une Bretonne, Pauline Sébilleau, qui est directrice du restaurant gastronomique. Il a dû se familiariser avec les produits bretons, avec les producteurs locaux. Il a trouvé ici sa propre façon de travailler, son identité culinaire.
Annabelle Lévèque est cheffe pâtissière. Elle dirige son équipe car la pâtisserie a ses propres exigences. C’est un métier à part. Elle est incroyable et parvient à faire aimer les desserts aux plus récalcitrants au sucre.
Enfin, Olivier Duroc est responsable de la Maison Alyette. Il la fait vivre dans l’esprit du domaine.
On compte énormément sur eux. Avec Stéphanie, on est les chefs d’orchestre.
C’est un travail d’équipe. Ils sont tous très compétents, très investis.
Orchestrer une équipe d’experts, ça force l’humilité. Ils sont meilleurs que nous dans leurs domaines, et c’est ce qui fait la richesse de cette maison.
VOUS AVEZ L’AIR À LA FOIS EXIGEANT ET TRÈS HUMBLE. EST-CE CET ÉQUILIBRE QUI FAIT VOTRE FORCE ?
Peut-être. Je n’ai pas fait d’école hôtelière. Stéphanie non plus. Mais on est curieux, attentifs, travailleurs. On touche à tout. Quand j’ai démarré dans le métier, mon père me disait « attention, directeur d’hôtel c’est être un chef d’orchestre, pas un homme-orchestre »…il avait raison sur le principe car il est capital d’avoir une vision d’ensemble, de prendre de la hauteur sur le quotidien qui est un véritable rouleau compresseur.
Mais pour être honnête, il faut quand même parfois être aussi un homme et une femme-orchestre car c’est en partageant les difficultés du moment aux côtés des équipes que l’on prouve notre engagement et que l’on gagne leur estime. Mais je vous le dis très simplement : les vrais experts, ce sont nos chefs de service. On est là pour être de bons généralistes capables de porter une vision, de définir un cadre et de prendre les décisions qui vont dans le bon sens…rien ne se fait seul.
Entretien avec Johan Dubourdieu, gérant du Domaine de Locguénolé – Relais & Châteaux
Propos recueillis par Anaëlle Morbidelli – Lodge Family
Photos : Christophe LE POTIER & Julien MOTA
Juin 2025